Panafricanisme: et si nous revenions aux fondamentaux?
Salutations chères toutes et chers tous,
Suite à un article tout à fait édifiant d’un camarade, sur la question du panafricanisme, ou d’un certain anti-panafricanisme à la marge, je me fais un petit devoir de discuter, un tant soit peu, sur ce sujet. Une nouvelle pomme de discorde en somme; enfin, quoique. Le passé a déjà montré que, par la magie du dialogue et de l’échange, des points de vue qui semblaient en apparence les plus inconciliables trouvaient aisément terrain d’entente. L’essentiel des frictions provient soit de quiproquos, de malentendus ou, plus bêtement, d’un manque de culture sur tel ou tel sujet, tant il est vrai qu’on a de grands risques de se tromper et de raconter des bêtises quand on parle d’un sujet qu’on ne maîtrise pas. Il va de soi que dans le présent développement, je fais radicalement abstraction des panafricains ou panafricanistes de comptoir, sur lesquels je n’ai pas les moyens de me prononcer.
Profitons donc de l’occasion pour déblayer un peu le terrain de la pensée panafricaine en quelques billets (billets dont celui-ci est le premier, naturellement).
Panafricanisme: de quoi il s’agit ?
Comme pour tous les sujets qui comptent (et fâchent), il y aurait beaucoup à dire et à redire mais, parce qu’une bonne culture vaut mieux qu’un mauvais clash, parce qu’il est toujours salutaire de revenir aux fondamentaux, je propose des pensées et des réflexions de quelques « panafricains » ou « panafricanistes », histoire de situer le sujet.
A tout seigneur tout honneur : Cheikh Anta Diop, Kwame Nkrumah et Edem Kodjo.
«On vous nie en tant qu’être moral. On vous nie en tant qu’être culturel. On ferme les yeux, on ne voit pas les évidences. On compte sur votre aliénation, sur le conditionnement, les réflexes de subordination, et sur tant d’autres facteurs de ce genre. Et si nous ne savons pas nous émanciper d’une telle situation par nos propres moyens, il n’y a pas de salut.[…] Parce que le conflit, il est partout, il est à tous les niveaux. Il est dans tous ces débats, il est jusque dans nos relations internationales les plus feutrées. Nous menons et on mène contre nous le combat le plus violent, plus violent même que celui qui a conduit à la disparition de certaines espèces. Et il faut [justement] que votre sagacité aille [jusque-là] »
Cheikh Anta Diop, Conférence à l’université de Niamey de 1984.
« Les forces dirigées contre nous, sont, et j’emploie le mot à juste titre, formidables » Kwame Nkrumah, discours d’indépendance du Ghana.
« En fait, il peut arriver qu’un pays colonisateur offre l’indépendance à un peuple, non pas avec l’intention que l’on pourrait supposer à un tel acte, mais dans l’espoir que les forces positives et progressistes en seront endormis, et que l’on pourrait exploiter le peuple plus tranquillement. […] Il est beaucoup plus facile au chameau de passer, bosse comprise, par le chas d’une aiguille, qu’à une ancienne administration coloniale de donner des conseils sains et honnêtes, d’un ordre politique, au territoire libéré. Laisser un pays étranger, en particulier un pays qui a investi en Afrique nous dire quelles décisions politiques prendre, quelle ligne politique suivre, c’est vraiment rendre notre indépendance à nos oppresseurs sur un plateau d’argent. »
Kwame Nkrumah, Le consciencisme
« L’Afrique contemporaine, par sa division consacrée par une mauvaise interprétation du principe de l’intangibilité des frontières héritées de la période coloniale, par sa faiblesse résultant de l’émiettement de ses forces dans un monde impitoyable, par l’influence grandissante des nouveaux impérialismes, ne semble pas avoir pris en main la détermination de son avenir et de son devenir. Il y a, dans l’histoire, des contradictions qui ne peuvent que donner matière à réfléchir aux esprits les mieux disposés à œuvrer dans le sens de la renaissance d’une Afrique puissante. Les guerres en Europe ont eu pour conséquence le reflux des puissances vaincues et la dernière guerre mondiale, marquée par la défaite de l’Allemagne, a été suivie par le réaménagement de l’espace géographique du Centre et de l’Est européens au détriment des Germains. […] Peut-on dire de même de l’Afrique d’aujourd’hui ? Les sacrifices assumés par les peuples africains afin de recouvrer leur liberté n’ont pas été couronnés par le réaménagement général de la carte politique africaine auquel on pouvait s’attendre. Les indépendances obtenues à partir des clivages laissés par les anciennes puissances coloniales eurent pour effet de consacrer les méfaits de la conférence de Berlin, c’est-à-dire la division des peuples en puzzle de territoires multiples gérés par des états sans avenir.
Nos peuples ont-ils lutté des décennies durant pour se retrouver comprimés dans les frontières artificielles tracées à leur insu un siècle auparavant ? Au lieu que l’histoire éclaire les démarches des Africains, au lieu qu’elle les aide à renaitre à eux-mêmes, l’on constate avec amertume qu’elle pèse lourdement sur leur destinée. Cette pesanteur de l’histoire se lit et se voit sur la carte politique du continent. Cette carte est le miroir qui renvoie à chaque instant et à chaque Africain l’image d’autrui, image qui se traduit par la perpétuation effective sinon juridique du partage de Berlin en 1885. Mais les ressources humaines et matérielles substantielles de l’Afrique, la possibilité de les utiliser pour féconder une civilisation forte et généreuse, dans le cadre de l’indispensable unité, donnent néanmoins espoir aux Africains des raisons d’espérer. »
Edem Kodjo (Ancien Secrétaire général de l’OUA), in …Et demain l’Afrique, PP 59-60
« Que les Africains ouvrent les yeux sur les réalités du monde. Ils verront que les puissances industrielles, confrontées à d’intenses difficultés sociales avec leurs millions de chômeurs, ont déjà fort à faire pour réduire la pauvreté chez elles et qu’en toute logique elles ne peuvent situer au premier rang de leurs préoccupations l’éradication de la misère dans des contrées lointaines. Il nous faut donc, dans le cadre de la politique économique mondiale, nous convaincre que notre continent possède des atouts, et que nous sommes les seuls à pouvoir créer – avec ou sans aide extérieur – notre propre richesse par le développement, développement conçu en fonction de nos besoins. Lorsqu’ils se battent pour entrer dans le club des pauvres, convaincus qu’ils n’ont rien, attendant leur salut de l’étranger et acceptant d’être à la traîne des puissances extérieures, les africains se condamnent d’avance à n’être que des observateurs passifs de leur destin, alors qu’ils peuvent conduire par eux-mêmes le changement et réaliser leur propre développement. N’est-ce pas trahir les objectifs de l’indépendance que d’agir ainsi ? N’est-ce pas se soumettre d’emblée au bon vouloir de l’extérieur ? N’est-ce pas renier sa foi dans les destinées de l’Afrique ?
Dans l’histoire des temps modernes, la véritable indépendance des peuples colonisés s’est toujours marquée par une rupture déchirante des liens de domination entre les colonisés et les puissances colonisatrices. Toujours, il a fallu secouer la tutelle du Père, dissiper « son odeur », le remettre à sa place véritable, celle d’un interlocuteur à qui l’on s’adresse d’égal à égal, sans plus. »
Edem Kodjo (Ancien Secrétaire général de l’OUA), in …Et demain l’Afrique, chap. le paradoxe de l’indépendance. p. 128
J’espère que ceci nous aura édifié et aidé à cerner quelque peu les contours de ce sujet épineux et passionnant. Nous poursuivrons bientôt ce que j’espère être une aimable causerie (autour d’un thé ou d’une bière, c’est selon 🙂 ) sur la question. Pour ma part, au sujet du panafricanisme ou l’anti-panafricanisme, question centrale et vitale, je considère que tout africain, raisonnablement doué de ses capacités, raisonnablement libre d’esprit, raisonnablement informé et raisonnablement disposé à y réfléchir, devrait arriver à la conclusion qu’une union ou une fédération est absolument nécessaire, et ce sans moindre mal. A moins que la configuration mondiale change de manière très radicale, dans un avenir extrêmement proche (lors d’une chute de météorite ou le retour d’un Messie par exemple). Mais bon, nous y reviendrons.
Panafricainement vôtre.
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