De l’inconvénient d’être né… au 20e siècle (et de vivre le 21e)
Salutations chères toutes et chers tous
L’an de grâce 2015, à peu près deux mille ans après Yeshua ben Yosef, plus connu sous son nom de scène, « Jésus-Christ de Nazareth ». Nous sommes au 21e siècle donc, ou plutôt à ses débuts. La plupart d’entre nous viennent du siècle qui a précédé : l’âge des deux guerres, de la modernité, du progrès technique et des droits de l’homme. A bien y regarder, ce n’est peut-être pas le meilleur temps pour faire son passage sur cette planète. Parlons donc de l’inconvénient d’être né aux 20e – 21e siècles.
Cette sensation aigre-douce de fin de l’histoire
Même si nous sommes dans du culte de la nouveauté frénétique et de la mode, notre siècle ne peut pas se débarrasser de cet étrange arrière-goût de la fin de l’histoire, pour reprendre la formule de Hegel (et un peu Fukuyama). Non pas que l’histoire s’arrête (ça n’arrivera pas avant extinction de l’espèce), mais que l’essentiel et le meilleur de la présente civilisation soient derrière nous. Que ce soit en musique (Mozart, Beethoven, Miles Davis, les Beatles, etc.), en littérature (Balzac, Rimbaud, Baudelaire, Tolstoï, Dostoïevski, Ben Okri , Tokien, J.K. Rowling, et beaucoup d’autres) ou encore en art (allant de De Vinci à Picasso, en passant par Dali et les grands maîtres-sculpteurs yoruba).
Hormis en sciences et encore!, tout le reste de nos « innovations » ne sont que des reprises, des dilutions ou des déconstructions de grands mouvements et de grands génies du passé. Plus que jamais, l’expression « Nil novi sub sol » (rien de nouveau sous le soleil) prend son sens. Même le rap, à bien y regarder, n’est pas « nouveau » en soit et est en bout de course. Et çà c’est notre époque.
Entre deux grandes époques :
Entre l’ancien âge et le nouveau, notre siècle.
La période des grandes explorations est terminée. Il n’y a plus de terre mystérieuse ou de « contrée lointaine et inconnue » sur cette bonne vieille planète; plus de tache blanche sur les cartes, tout a été comblé. A l’inverse, la phase de l’exploration de l’univers n’en est qu’à ses balbutiements, cela prendra encore du temps avant de se la jouer Star Wars.
Pour explorer le monde en se lançant dans des expéditions audacieuses, il aurait fallu naître deux à trois siècles plus tôt (voire même remonter aux belles épopées du Mansa Abubakri II, de Marco Polo, des Vikings ou même de Simbad?)… et pour explorer l’univers, il aurait fallu naître un à deux siècles plus tard.
Siècle charnière et siècle charnier
De même, le 20e-21e siècle est une phase charnière dans la marche du monde, marquée par la mondialisation et le mondialisme, par de graves conflits mondiaux pour restructurer l’échiquier géopolitique mondial et la répartition des ressources (la Première Guerre mondiale, c’était il y a à peine un siècle). Il s’agit aussi du summum de la lutte à mort entre le Capital et le Travail : les 1 % les plus riches contre les 99 % restant, faites vos jeux.
La boucle de ces cycles de violence va probablement se refermer avec un ultime conflit majeur (mondial ?) qui nous pend au nez comme une épée de Damoclès. Eh oui, la Troisième, elle s’amène, à pas feutrés mais elle s’amène. Ce sera peut-être un véritable carnage, à la mesure des forces et des armements en présence.
L’âge de la pollution et du gaspillage
Jamais l’être humain n’a autant produit avec facilité, et jamais il n’a autant gaspillé. Il est bien loin, le temps où ne prenions que ce dont nous avions besoin. Que ce soit dans l’agriculture, dans l’industrie ou dans la pêche, nous sommes en surproduction permanente.
Les pays dits « développés » et leur société de consommation nous entraînent dans ce cercle vicieux encore et encore et encore : produire massivement et jeter massivement. C’est un gaspillage qui ne dit pas son nom. Tout cela va de pair avec la pollution monstre, on ne compte plus les villes-cheminée dont l’air est irrespirable : le rejet de fréons, monoxydes de carbone, dioxydes de carbone et autres joyeux gaz à effet de serre dans la nature, tout ça tout ça.
Sur l’échelle du temps, c’est à un véritable carnage, une mise à sac de la planète, aussi vertigineuse qu’irraisonnée, que se livre le genre humain, car il est évident que l’homme scie la branche sur laquelle il est assis. La nature nous survivra, l’inverse est loin d’être vrai.
Le « réchauffement » climatique et les tragiques dérèglements des saisons de part et d’autre, ainsi que les préoccupations écologiques qui montent sont le signe de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Ce n’est pas très reluisant.
L’âge d’or des inégalités sociales
S’il y a aujourd’hui suffisamment pour nourrir à peu près tout le monde, il n’y a jamais eu autant d’affamés. S’il n’y a jamais eu autant de milliardaires, il n’y a jamais eu autant de (très) miséreux non plus. La structure très profondément inégalitaire du système dominant, enfanté par l’épopée capitaliste, nous impose une telle laideur. Un fossé de plus en plus grand entre les couches sociales à l’échelle mondiale : une poignée de riches qui deviennent de plus en plus riches, et une écrasante majorité de faibles et de pauvres, de plus en plus pauvres et démunis.
Pour l’Afrique
Pour les nations (et les Etats-nations) africaines, cette période aura été, à bien des égards, un gâchis, une succession ininterrompue d’occasions manquées pour régler la dette de l’Histoire et retrouver les chemins de la grandeur. A l’esclavage aura succédé la colonisation, aux espoirs des indépendances auront succédé l’ère des dictateurs fantoches.
Le demi-siècle qui succède aux indépendances peut donc sans trop de problèmes être ajouté aux cinq à six cents ans qui ont précédé. Nous avons obtenu des drapeaux et tout, mais rien n’a vraiment changé, les esclaves sont toujours des esclaves et les sangsues toujours des sangsues. Les chaînes ont changé de forme et de position (passant des mains aux cerveaux) mais sans plus. Il est bien loin l’âge de l’Afrique impériale.
Notre siècle, notre responsabilité, nos défis
Tout ceci étant dit, ce siècle est le nôtre. Votre époque, c’est comme votre famille : vous ne les choisissez pas.
Et il y a largement de quoi se consoler. C’est aussi le siècle d’Internet, du pop-corn et des chips (on oublie souvent les chips). C’est celui des grands voyages transcontinentaux, Moscou, Tokyo, Malabo, Tanger, Abuja, Katmandou, Jakarta ou encore Berlin, Rio de Janeiro… Allez tenter ce genre de voyages à l’époque de Soundjata Keita. C’est le siècle des mouvements d’émancipation, du féminisme (avec toute son ambiguïté, oui).
D’autre part, chaque génération s’appuie sur le travail et les sacrifices de ceux qui les ont précédés, ainsi il est de notre responsabilité de bâtir et de forger ce monde mirifique de demain, ceci est notre défi. C’est à la fois un privilège et une malédiction rare d’assister à ces grands changements radicaux, ces carrefours entre l’Ancien Monde et le nouveau, où le monde s’apprête à bondir vers de nouveaux horizons ou à tomber dans le fossé de l’autodestruction et de l’épuisement des ressources.
En ce siècle, l’humanité joue sa vie à quitte ou double sur l’échelle du temps. Et nous, sept milliards d’humains accrochés à des hamburgers ou des galettes d’argile, à nos télécommandes ou nos kalachnikovs, à nos livres centenaires ou aux souris de nos ordinateurs, nous sommes là pour le voir et le vivre. Brrrr
Bien à vous, frères et sœurs d’humanité,
A.R.D-A.
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