Charlie ou Kenya… Moi je suis Kenya !
Nous voilà donc, chers amis, en ce jour qui commence. Le visage morose, l’esprit enfiévré, l’âme tuméfiée, il persiste dans notre bouche comme un gout de pisse, une amertume diffuse et atroce qui refuse de céder face aux festivités de la résurrection de Jésus de Nazareth, sauveur des chrétiens. Car nous émergeons à peine des relents vaporeux de ce qui restera dans nos mémoires comme la fête de Pâques rouge, rouge du sang kényan qui a coulé et souillé un temple du savoir, rouge de l’innocence égorgée sur l’autel de la barbarie, rouge de la colère et de la douleur des familles éplorées.
Entre colère et frustration
Que ce soit pour le Niger, le Nigeria ou le Kenya, je remarque que ces fameux « soldats de Allah » ne s’en prennent qu’à des pays riches en ressources et/ou qui ont toutes les chances de devenir des leaders d’une renaissance panafricaine. Un chaos bien salutaire à certains manipulateurs… tiens, le hasard sûrement. Face à l’ampleur de l’horreur, nous sommes partagés, submergés de sentiments violents. Deux d’entre eux retiennent mon attention :
La haine contre ces prétendus soldats d’Allah qui font (et coupent) des pieds et des mains pour nous tirer par la tignasse des cheveux dans une pathétique et mortifiante guerre de religion. Allons-nous sombrer dans la violence ?
Le dépit, le dépit profond et l’indicible frustration face au monde qui était Charlie il n’y a pas si longtemps, mais qui s’en fout royalement de Garissa.
Nous n’allons même pas entrer dans des considérations numériques, c’est un décompte macabre que j’ai toujours trouvé indécent (encore qu’on pourrait le faire, que ce soit pour les 100 millions de l’esclavage, les 6 millions de la Shoah ou les 10 millions du Congo).
Carnage dans une université au Kenya pic.twitter.com/YkrLD0LkdV
— Ali Dilem (@DilemAli) 4 avril 2015
Un deux-poids deux-mesures pas du tout étonnant
Étonné par la différence de traitement de cette tragédie dans les médias main-stream ? Pourquoi ? Moi, ce qui m’étonne, c’est ceux que ça étonne.
Cette maxime dit. Au cas vous ne l’auriez pas remarqué, c’est comme ça que fonctionne le monde. Je sais que la religion du droit de l’hommisme et de l’égalitarisme abstrait a fait beaucoup de dégâts dans l’esprit de mes compatriotes africains, mais il y a des choses élémentaires à ne pas oublier :
- Personne ne se fait respecter par les larmes et la pleurniche. Surtout pas quand on se traîne à longueur de siècle une image savamment entretenue de demi-sauvage et de primitif affamé.
- Il faut pleurer la mort de son fils avant d’aller pleurer celle du voisin. Si le voisin est plus riche que toi et qu’il ameute tout le quartier, c’est son droit… Mais est- ce que toi tu es obligé d’aller aux funérailles de son cousin ou de sa belle-mère quand lui il ne vient jamais aux funérailles de tes enfants ? Non, mais où on a jamais vu ça ? C’est quelle affaire ça? Chez moi, c’est ce qu’on appelle être « Honvi ».
On peut être Charlie et Kényan.
Certes, on peut être ému pour les tueries de Paris et pour le massacre de Garissa en même temps. La question ne se pose pas. C’est même la moindre des choses… Mais alors, où sont les Kényans à l’heure de ce drame ? Mieux encore, où sont les #JesuisKenya parmi les #JesuisCharlie ?
Où sont donc les Charlie, les Charlots et autres bisounours ?
D’aucuns considèrent le massacre de Garissa comme sur fond religieux et l’affaire Charlie Hebdo étant plutôt dans le cadre de la sacro-sainte « liberté d’expression ». Le dossier de Garissa est considéré par ces « experts » comme non conforme pour être sponsorisé. Moi je dis « Gratte-moi le dos ». C’est de la tartufferie ou je ne m’y connais pas.
Comme dirait l’aîné Kpelly :
Tu es Africain, tu es touché par ce qui s’est passé au Kenya? Eh bien, compatis à ta manière. Et comme cela se fait sur Facebook, mets ‘Je suis Kenya » ou une bougie sur fond noir avec KENYA écrit dessus en photo de profil, et, surtout, boucle-la. « Oui, voilà, les Blancs ne disent rien sur le drame kényan, aucun d’eux n’a mis « Je suis Kenya » sur son profil, alors que pour Paris nous avions tous mis « Je suis Charlie… » Vraiment, boucle-la. Ce n’est pas à coups de larmes et de pleurnichements et de soupirs qu’on réussira à tourner le cœur de qui que ce soit vers l’Afrique. La compassionb ça ne s’achète pas. Surtout pas avec des larmes !
Voilà qui est dit et bien dit.
J’épouse entièrement la pensée d’un autre aîné, Kossi Noglo :
Chers amis africains, près de 150 personnes assassinées chez nous et nous ne voyons aucun chef d’Etat occidental venir faire une marche au Kenya. Nous ne voyons aucun T Shirt « Je suis…. ». Nous ne voyons pas les grandes chaînes de télé passer la nouvelle en boucle. Nous ne voyons aucune célébrité se scandaliser, aucun débat télé? On a vu tout ça quand il y a eu 12 tués à Paris n’est-ce pas? Ça montre bien le MANQUE DE CONSIDÉRATION qu’on vous donne en tant que race, culture et continent. La prochaine fois vous réfléchirez mieux avant d’aller STUPIDEMENT témoigner de la compassion alors qu’on ne vous rendra pas la pareille. (https://picklelicious.com/)
Nil novi sub sol
Pour moi, comme dirait la Bible, il n’y a « rien de nouveau sous le soleil ». Ces gens-là n’ont jamais eu de considération pour nous, pourquoi ça changerait aujourd’hui ? Arrêtons de quémander leurs larmes, leur commisération et leur considération. Si CNN & Cie avaient été des chaînes africaines ou panafricaines, je crois que ça se saurait.
Un journaliste travaille pour celui qui le paie, est-ce vous qui payez ceux de CNN ? Hein ?
D’ailleurs on peut prolonger cette question : qui finance les shebabs, Boko-Haram et autres Aqmi ? Qui ? D’où viennent leurs armes ? Allah peut-être ? Comme dirait un grand érudit musulman, le cheikh Imran Hossein :
« Ce n’est pas le père Noël qui fournit les armes à l’Etat islamique ». Cheikh Imran Hossein
Il serait grand temps que nous retrouvions le chemin de l’intelligence. Au lieu d’être là à pleurnicher encore, à se demander « pourquoi pas nous » encore. Ceci est un monde de violence, tout particulièrement envers les plus faibles. D’ailleurs, en parlant de violence, attendez de voir le grand bouquet final (et mondial) que les puissants nous réservent, vous allez bien être Charlie.
Nous ne pouvons exiger d’être traités avec respect et considération tant que nous sommes faibles. Arrêtons d’être étonnés.
Je n’ai jamais été Charlot et ce n’est pas demain que ça va changer. Pour ceux qui disent qu’être Charlie, c’est être pour la liberté d’expression, soit, c’est une façon comme une autre de voir les choses.
Et nos chefs d’Etat… Immonde et affligeante soumission !
Le plus mortifiant, c’est nos chefs d’Etat, surtout la bande à Charlie n’ont pas daigné faire un discours ou une condamnation. Rien, zéro, nada, peau de balle. Trop occupés à bien se faire voir par le maître, ils se sont comportés en dignes gardiens de plantation en allant marcher comme des toutous bien dociles à Paris. Je ne parle même pas des larmes de certains, comble de l’humiliation. A croire que leur pays respectif ne se trouve pas en Afrique. Dans leur esprit, comme dans celui de beaucoup, il y a leur pays, et puis il y a la France, l’Europe et les States. Ils se sentent éminemment plus proches de Paris que de leurs voisins.
Le plus tragique c’est que, par leur comportement, ils nous forcent à choisir notre camp entre les tragédies en Afrique et celles d’ailleurs.
C’est bien la preuve que nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge… ou plutôt de l’abattoir, pauvres moutons charlots que nous sommes. Notre sang coulera encore, encore et encore, dans l’indifférence générale, mais ce n’est pas grave, puisque « nous sommes tous Charlie ».
Alors, quand retiendrons-nous donc les leçons de l’Histoire ? Notre sang carbonique et « sauvage » n’intéresse personne. Nous sommes seuls.
Bien vous
A.R.D-A.
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