Ils transforment leurs cahiers en ballon de foot
Salutations, chers toutes et chers tous!
Une scène étrange et troublante par une journée inondée de soleil
A cause de la grève qui secoue tout le secteur public togolais, le saint gouvernement a décrété la suspension des cours dans toutes les écoles sur toute l’étendue du territoire, jusqu’à nouvel ordre. Ceci pour éviter les débordements multiples subséquents aux grèves… Car, bien souvent, les élèves s’en mêlent, réclamant que le gouvernement donne satisfaction aux requêtes on ne peut plus légitimes de leurs enseignants. Et que ceux-ci arrêtent leur grève et continuent à dispenser leur savoir. Fermer les écoles quand les travailleurs (enseignants, médecins, fonctionnaires, tout le monde) grondent, c’est devenu une habitude pour le gouvernement depuis quelques années.
Résultat des courses, les gosses sont à la maison… et moi aussi. Sortant de mon alcôve pour prendre l’air, je découvre sur la terrasse un bambin consciencieusement baissé sur un cahier usager avec un ruban d’adhésif. Intrigué, je m’approche : le garçon déchirait méthodiquement les pages de ce vieux cahier, les compactait avec d’autres et les roulait en boule. Il achevait le travail avec son ruban adhésif. Je lui demande ce qu’il fabrique (il va sans dire qu’il me répond en français ce gosse !)
Moi : Mais qu’est-ce que tu fais ? (En Ewe : Hé, noukè ö lé wo’ ?)
Lui : (relevant à peine la tête de son ouvrage) : rien (en français)
Moi : Comment ça, rien ? Et ça c’est quoi ? (En français. Comme le reste)
Lui : euuuuh… je fais un ballon de foot.
Moi : Comment ça un ballon ?
Lui : Un ballon pour jouer, on va jouer à l’heure.
Moi : Quoi, avec des feuilles de cahier, ce n’est pas un cahier à toi ?
Lui : C’est un vieux cahier !
Moi : Toi tu es à peine en classe de cinquième et tu parles de vieux cahier ?
Lui : C’est un cahier de l’année dernière ! rétorque-t-il, comme si c’était un argument massue.
Je n’en revenais pas. Je tombais littéralement des nues à vrai dire. La meilleure idée qu’il avait eue pour passer le temps c’était de jouer au foot, ce que je conçois aisément. A part la télé et le cyber, il y a le foot. Mais de se servir d’un cahier d’à peine un an?
Je crois qu’un certain Voltaire a dit:
Ben, s’il avait vécu assez longtemps, il aurait ajouté « les pages déchirées des vieux cahiers». S’ils avaient été à l’école au lieu de flemmarder à la maison, je n’aurais pas eu à assister à ça. C’est quand même plutôt inventif de leur part, mais là n’est pas l’objet de ce billet.
Pour ce qui est de préserver ses cahiers et ses documents, je ne prétends pas mériter le Nobel, loin de là. Mais pour moi c’était délirant de voir le traitement que ce gosse faisait à un cahier qui datait d’à peine un an. Déjà il était méconnaissable, le cahier, touffu, en bosse. Il ressemblait plus à un vieux chiffon de vingt-cinq ans qu’à autre chose.
J’admets que la qualité des cahiers a bien baissé depuis le temps. Les nôtres étaient de loin plus résistants et mieux ouvragés que ceux de nos petits frères. Et ceux de nos parents wow, ces cahiers étaient en carton « armé » certainement. Des pages d’une solidité extraordinaire.
Mais ce n’est pas une raison, gamin !
Mais je me rappelle encore les remontrances acerbes de ma mère quand je rentrais de l’école avec mes cahiers aux bouts cornés ou avec des ratures par-ci par-là (il faut dire que je donnais beaucoup le bâton pour faire battre, vu que j’avais une écriture prévue pour écrire le chinois ou l’arabe au départ).
De mon temps voilà que cet enfant me fait parler comme un vieux 🙁 il ne nous serait jamais, mais alors au grand jamais, venu à l’idée de transformer un cahier en ballon de foot. Bon, j’avoue, un très vieux, très très vieux trouvé dans les entrailles obscures et oubliées de l’école, peut-être. Mais un de nos cahiers ? Non. Tout au plus, à la fin des compositions, on s’amusait à faire des avions de papier et autres origamis avec les pages inutilisées de nos cahiers de brouillon, ou quelques jeux du genre « tic-tac-toé ». Mais on se faisait un point d’honneur à conserver un tant soit peu les cahiers, rien que pour les jeter au fond d’un grand sac à la fin de l’année. On ne les conservait pas aussi bien que ceux de la génération passée, mais mieux que les gosses d’aujourd’hui.
A l’époque, nos parents nous faisaient religieusement la morale à ce sujet : « Moi je pourrais encore te montrer mes cahiers de CM1 et CM2, et ils seraient encore mieux que les tiens ! » (Il va sans dire qu’il n’avait que des 10 sur 10 en son temps, évidemment). Un jour, à ma grande surprise, je suis tombé sur un des vieux cahiers de primaire de mon oncle. Effectivement, il était nickel même vingt ans après ses classes. Il avait par ailleurs une bien meilleure écriture que la mienne. Pour ma part, j’ai encore une énorme cantine avec mes vieux cahiers, enfin, une bonne partie (j’en ai perdu beaucoup après une inondation il y a quelques années).
Times change
Le plus mortifiant, c’est qu’entre moi et ce gamin il y avait à peine dix ans d’écart. Les choses ont dramatiquement changé… en dix ans.
Ce pays où tout va à vau-l’eau
L’école elle-même est une véritable catastrophe : autorités aux abonnés absents, programme datant de l’indépendance, élèves passionnément défaitistes, obstinément jemenfoutistes, élèves et profs avec les yeux rivés sur leurs IPhone en train de tchater sur Whatsapp et de massacrer la langue française. (Voilà encore un truc qui a changé, on n’avait pas d’IPhone, nous. Même pour le vieux Nokia 3310, il fallait repasser)
Non mais, elle va où comme ça, cette pré-jeunesse ? Déjà qu’on se plaint que nous « jeunes », nous sommes de la « m***de » par rapport à nos aïeuls et à leur courage… Plus ça va et plus on se pose des questions, en même temps, ce n’est qu’un ballon me dira-t-on!
Bien à vous
A.R.D-A.
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