Quand les enfants ont « honte » de parler leur langue maternelle
Salutations, à toutes à tous, à chacune et à chacun (ou à l’envers, dans le sens des aiguilles d’une montre, encore une fois, c’est selon)
J’ai été interpellé par un petit incident qui a eu lieu cette semaine, et qui fait l’objet de ce billet, donc. J’étais parti rendre visite à un de mes amis, chez lui. Une petite maison tranquille pas loin de chez moi. C’est alors que j’ai été frappé
Tout le monde dans la maison ne parlait que Français, que français, pour toutes les circonstances. Les parents n’étant pas des étrangers, encore moins des « Blancs », j’en étais assez surpris. Ce qui m’a le plus intéressé c’était un des petits frères de mon camarade, il était tranquillement assis à côté de moi dans la chaise voisine, à jouer avec des voiturettes, les faisant s’entrechoquer et voler dans tous les sens comme tout garçonnet qui se respecte. Il répondait distraitement aux quelques questions que je lui posais sur la maison, ses jeux et sur la rentrée qui venait de commencer. Bien évidemment, il ne me répondait qu’en français, c’est alors que je lui demandai s’il comprenait Éwé (1) il me répondit laconiquement « Oui ». Je le mis au défi de le prouver, ce qu’il fit avec un bref « Ahoué« * (*La maison) en faisant un large mouvement circulaire dans la cours, montrant ses voiturettes : « Ehounvi« * (*voiturette), « Nénéo?« *(*combien)?, et répondit « Amévé« * (*Deux).
Je fus frappé par le fait qu’il n’avait pas vraiment de phrase, le manque de pratique surement. Le plus étonnant fut la réponse qu’il me donna quand je lui demandai Pourquoi diable il ne parlait pas sa langue maternelle, il me répondit simplement et sans la moindre hésitation que c’est par ce que, je vous le donne en mille, faites rouler les tambours en attendant… Il avait HONTE. Il avait tout simplement honte de parler sa langue maternelle. (https://picklelicious.com) J’imagine aisément quels facteurs l’avaient poussé à ressentir de la « honte », à l’idée de parler éwé, SURTOUT, me disais-il, AVEC DES ÉTRANGERS. Entre ça et une de mes nièces qui ne savait ni compter ni réciter les jours de la semaine en Ewé, j’étais servi !
Pour ce qui est des causes,
Je ne parlerais de ce « Vernaculaire qui est interdit dans l’enceinte de l’établissement », cette formule, sans la moindre équivoque, illustre bien la guerre sans merci qui est faite à nos langues dans le milieu scolaire, surtout au primaire ;
Je ne parlerai pas non plus de ce fameux signal, espèce de collier sanction, qu’on remettait à l’élève qui était pris à parler le « vernaculaire » et qui recevait à une punition conséquente à la fin de la journée s’il n’avait pas réussi à la passer à un autre fautif avant la fin de la journée ou de la semaine, la pratique n’a plus tellement court mais elle en dit long. Pour ceux que ça intéresse, cherchez le sens du mot « Vernaculaire » dans votre dictionnaire, vous m’en direz des nouvelles, de cette arnaque de l’esprit.
Je ne parlerai pas non plus de ce culte étrange et malsain que nous vouons au français, à tel point que pour être in, cool, évolué, le marqueur important est la maitrise du français (même si le camarade montre que c’est un peu la dégringolade de ce côté ces dernières années).
Je ne parlerai pas des parents qui interdisent formellement à leur enfant de parler « cette langue de villageois» sous leurs toits… c’est terrible.
Les arguments foireux
J’ai entendu énormément d’inepties pleines de mauvaise foi sur la question, l’une d’elle étant que l’enfant aurait du mal à parler le français (la langue des langues, donc) pour peu qu’il parle un peu trop sa langue maternelle, ou encore que le français serait une langue plus appropriée pour l’intelligence et l’intellectuance(2). Sans parler de ceux qui ne se gênent même pas de cacher leur amour inconditionnel et leur idolâtrie pour la langue de Molière
Personnellement, dans mon grand amour pour la mosaïque que forme l’humanité dans sa diversité, je trouve ce déracinement à la base, c’est le cas de le dire, terrible et dangereux, parce que c’est une écorchure sans nom que de priver un enfant de la langue de ses ancêtres et de son peuple, pour raisons X Y, aussi belle que puisse être la langue de Molière qui nous rassemble d’ailleurs. Il est bien dommage que nos langues soient sacrifiées inutilement sur l’autel du sacro-saint français. D’autant qu’en général les enfants qui maitrisent bien leur langue maternelle ont de meilleures chances d’apprendre quelque autre langue, pouvant revenir à celle-ci comme référence ; je crois que le drame survient quand des enfants qui ne parlent pas la langue locale (qui est souvent la langue maternelle) apprennent le Français…auprès de personnes qui ne le parlent pas correctement (des phrases du genre « Dis la que j’arrive). Cela donne un phénomène d’illétrisation (3) à double niveau, une double lame de fond, qui fait qu’en définitive, on ne parle bien ni l’une ni l’autre. Et la langue étant el socle de la pensée et de la réflexion, cela explique en partie les difficultés d’apprentissage par la suite.
Les conséquences
Ce qui est dommage c’est que ce phénomène se concentre d’autant plus sur les enfants, un pont coupé avec la langue maternelle, c’est une séparation d’avec sa culture et un immense réservoir de savoir qu’il vaut mieux posséder dès l’enfance, au lieu d’errer comme un bateau sans gouvernail sur l’océan des cultures, véhiculé par la télé notamment.
Pour ne pas conclure
À une époque de mondialisation acharnée (voir de mondialisme délétère imposé au forceps), ceux ne se possèdent pas eux même, ni eux ni leur histoire, sont à l’image de verres vides, ils seront remplis à ras bord, voire submergés en un rien de temps. Dissous comme du sucre dans du thé. Le génocide culturel, éminemment plus compliqué, subtil (ou pas) et pervers et tout aussi dévastateur, à terme, est bien en marche, ce serait bien de faire preuve d’un peu plus d’intelligence, valorisons nos langues maternelles.
Bien sûr, c’est une question dont on ne pourrait parler totalement, dans les limites de cette esquisse.
A. R. D-A.
Lilium Inter Spinas
(1) L’éwé est la langue locale principale du Sud du Togo, énormément de variantes et de dialectes, mais un tronc commun lexico-grammatical suffisant stable.
(2) Passez-moi le néologisme
(3) Repassez-moi le néologisme
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