Grève au CHU Sylvanus Olympio, la détermination des grévistes, le désespoir des familles.
Salutations, chers toutes et tous
Au Togo, cela fait quelques mois qu’il y a de l’eau dans le gaz entre les forces productives du pays et le gouvernement. Etudiants, Corps médical, enseignants: des grèves régulières émaillent le cours des choses dans notre petit pays.
Les choses sont encore montées d’un cran il y a quelques semaines. Au cœur de la brouille, la récente sortie de notre illustre Premier Ministre/Ministre de la santé oui, c’est un tout en un suite à de récentes grèves. Les motif de ces grèves étaient en gros les conditions de travail et le salaire.
Je cite ici les propos recueillis par le journal Kusasa Newws sur site alome.com au CHU:
« Ahoomey-Zunu se prend pour qui pour nous menacer en ces termes ? C’est une provocation intolérable. Pourquoi s’intéresse-t-il seulement aux trucs aléatoires ? Est- ce qu’il imagine un peu les conditions dans lesquelles nous travaillons ici ? », s’indigne un agent qui remarque la présence des reporters et s’adresse désormais à eux : « Tenez monsieur le journaliste, le rythme de travail ici est infernal. Tout le matériel de travail est usé, alors que l’hôpital même n’en achète pas. Ils attendent seulement qu’on leur fasse des dons de matériels qui ont été déjà utilisés ailleurs. Des matériels qui sont hors d’usage et que les gens veulent s’en débarrasser, c’est ça qu’on nous amène ici et on organise des cérémonies de réception en grand pompe, on crie sur les toits qu’on a enrichi les hôpitaux de nouveaux matériels de travail, alors que les trucs ne sont même pas bons. Avec notre rythme de travail, au bout d’une semaine, ces appareils sont inutilisables ».
[…] un autre de renchérir : « Regardez dans les couloirs, vous voyez toutes ces femmes enceintes à terme couchées à même le sol, par faute de bancs ? Suivez-nous au bloc et vous verrez que nous examinons aussi des femmes à même le sol. Il n’y a pas suffisamment de lits pour les mettre dessus. Et à la fin, nous avons mal aux reins, puisqu’on fait tout en position accroupie… Regardez vous-mêmes le vrai visage de l’hôpital togolais en 2015 ! Est-ce qu’on peut bien soigner les gens dans ces conditions ? Quand on leur parle, ils politisent tout. Ils ne voient même pas la souffrance du peuple ». Il poursuit: « Les Togolais meurent tous les jours. S’il faut fermer les hôpitaux pendant 24 ou 48 heures pour qu’on règle tous les problèmes, même s’il doit avoir des morts, c’est mieux que de laisser mourir les gens tous les jours et continuellement […] » « […] Si nos hôpitaux étaient bons, lui-même quand il était malade, pourquoi il ne s’est pas fait soigner au pays ? […] En responsables conscients, arrangez vos hôpitaux pour qu’on donne des soins adéquats aux patients. On peut tout traiter ici sur place s’il y a des moyens. Les gens tombent malade, ils fuient leur propre pays pour aller se faire soigner en Europe. » […] « Son collègue lui arrache la parole : « Je vais vous faire une confidence. Quand le Premier Ministre était évacué en Europe pour suivre l’opération chirurgicale à la suite de son appendicite, le premier chirurgien qui devait l’opérer a failli aggraver son cas, voire le tuer carrément. Je suis sérieux ! Le jeune chirurgien, suivant les nouvelles techniques modernes voulait lui faire ce que nous appelons ici « petite souris ». Il a fallu la prompte réaction d’un médecin africain pour attirer son attention sur la spécificité du cas qui doit être traité comme cela se fait en Afrique. Vous voyez le risque que nos gouvernants prennent en refusant d’équiper nos hôpitaux ? ». (Source: https://news.alome.com/h/39126.html)
Dans une diatribe absolument mémorable, il a pour ainsi dire « remis à leur place » les médecins réclamants, du moins c’est ce que cela se voulait. Un discours digne d’un patron d’entreprise sermonnant ses subalternes selon moi. Le souci c’est que les membres du corps médical ne sont pas tout à fait ses subalternes. Je ne sais pas trop quelle illusion d’optique, quel principe de transitivité lui a donné à croire qu’il était le patron juste parce qu’il était Premier Ministre/Ministre de la santé (Il faudra peut-être que tous les intéressés voient l’étymologie exacte du mot « ministre », ils en rabattront un peu). Ses propos ont suscité une vive colère
Un médecin, un technicien, ou infirmier, ce n’est un mendiant
Quand on est des BAC + 3, BAC+ 5, BAC + 10 voire BAC+14 et plus pour certains, on n’admet guère certaines remontrances mal placées. Surtout quand on a des revendications légitimes. La réponse du principal Syndicat ne s’est pas fait attendre : et vlan trois jours de grève reconductibles sans préavis (11, 12, 13 Février).
Grève du service public – Grève au CHU sylvanus Olympio
Etre en stage au CHU Sylvanus Olympio (1) par ces temps de grèves, c’est comme être dans l’antre de la bête, dans l’œil du cyclone, dans l’épicentre du séisme C’est bon j’arrête là, vous avez saisi l’idée. Nul part ailleurs le drame d’une grève du service public ne cristallise autant les passions et les répercussions : La détermination affligée des grévistes à obtenir satisfaction, la détresse des patients qui sont directement et très frontalement pénalisés, les urgences qui sont redirigés vers des centres privés plus couteux etc.
Pour avoir, la semaine dernière, passé trois jours quasiment au point mort au labo d’hématologie où je « stage », et dans tout le reste de l’hôpital, je puis dire que la grève a très bien suivie. A partir du 17 Février, il est prévu trois jours de sit-in. La détermination est toujours présente. D’ailleurs, un des ainés au laboratoire ironisait ce matin « On va prendre des bâtons pour taper ceux qui ne vont pas respecter le sit-in » si si, il ironisait.
Au Centre hospitalier universitaire (CHU) Sylvanus Olympio, un ingénieur en biologie a bien du mal à cacher sa colère : « Ils ont traîné toute l’année 2013. On s’est tus, on n’a rien dit. Ils ont promis que non, ils sont en train de tout faire pour avoir notre cas. A notre grand étonnement, on est en 2015. Mais notre plateforme est devenue quoi ? Le gouvernement proposait encore d’aller en commission. On va en commission, en commission on travaille. Il y a un document qui en est ressorti. On le dépose sur la table du gouvernement. Un mois, deux mois, trois mois, le gouvernement ne dit rien. Et c’est ce qui nous a conduits à la grève. » (Source)
Les patients et leurs familles
Le plus triste dans l’histoire c’est pour les patients. Beaucoup sont immobilisés depuis plusieurs jours à l’hôpital à cause de ces grèves : Sans médecins pour les ausculter et/ou signer leur sortie, il va de soi qu’ils sont bloqués là (et la facture s’allonge).
Patients et Accompagnants: Entre désespoir & Colère
L’annonce des trois jours de sit-in a provoqué une véritable psychose chez nombre d’accompagnants. L’idée de rester bloqués au Centre pour plusieurs jours de plus, voire une semaine, ne les a pas du tout fait sourire. C’est le cas de le dire.
J’étais en plein travail ce matin quand j’entendis plusieurs tintements métalliques et des cris stridents. Un regard par la fenêtre: une dame, cuillères dans les mains, en train de crier à la cantonade « Pour se laver, on paye, pour faire ses besoins on paye, pour les chambres on paye… mais vous refusez de soigner nos gens pour nous libérer. Oboboboboué ! » « Qu’ils s’occupent des dokita (2) afin que ceux-ci viennent s’occuper de nos malades ».
Son sentiment d’angoisse était largement partagé; la preuve, cette dame solitaire est très rapidement devenue une foule de plus d’une cinquantaine de personnes jusqu’à son arrivée à l’entrée de l’hôpital, juste en face de la direction. Un groupe de femmes essentiellement. Il n’y a pas à dire, les femmes sont d’un courage, d’une force de caractère et d’une férocité incroyable, quand il y va de la survie des leurs !
La scène quelque peu surréaliste a duré quelques minutes : La foule les femmes faisant du bruit en face de la direction, à grand renforts de remontrances. Un responsable descendant pour les calmer et les rassurer, lui se fait copieusement huer. De loin, les membres du corps médicaux (tous échelons confondus) acquiesçant discrètement du regard avec un air largement approbateur. Et une infirmière de dire dans son coin « Einhein ! Mi woè na wo gnoédé. O mou sé na nouo, o tri na to » ( C’est ça ! Faites-le leur bien ! Ils sont durs d’oreille. Ils sont récalcitrants»)
Les grèves à l’hosto sont aussi un sacré coup de poker. Il y a une pression psychologique énorme pour les deux parties car le mécontentement grandissant des foules est une chose redoutable, instable et imprévisible, un argument de poids. Mais ça marche encore mieux dans un pays où on se soucie vraiment du peuple, je dis ça je dis rien. Quiconque a déjà « visité » un de nos hôpitaux public en tant que patient ou accompagnant sait à quel point les conditions sont pénibles et difficiles. Alors en temps de grève…
Allo ? Y’a-t-il un président dans l’avion ?
La scène des dames à l’entrée du Centre n’a eu de cesse d’alimenter les conversations. Et un de mes collègues de s’interroger sur le silence de notre altesse royale Gnassingbé II. En ces périodes électorales, on s’imagine bien que ses préoccupations sont toutes autres, mais on se serait quand même attendu à un certain intérêt de sa part, ne serait que par un discours. On ne l’entend pratiquement que le nouvel an, notre prési.
Une chose est certaine, cette grève fait parler d’elle. J’ai encore en mémoire la sordide et délirante affaire liée à la grève au niveau de la morgue il y a quelques temps, terrible pour un aussi petit pays que le nôtre. Demain, 17 Févier 2015 commencent les trois jours de sit-in.
On a pas fini d’entendre parler de cette affaire.
Bien à vous,
A.R.D-A.
(1): Je passe déjà sur l’étrange mesquinerie que c’est donner le nom d’un des plus illustres hommes du Togo à un hôpital considéré par beaucoup comme un mourroir.
(2) Dokita : déformation de « Doctor ». C’est le terme le plus répandu pour désigner un « docteur » (Docteur en Médecine je précise) en Eve-Mina/Lomégbé.
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