La poétesse de Dieu, de David Kpelly : rien n’arrête les mots, ni le désert, ni la mort !

Article : La poétesse de Dieu, de David Kpelly : rien n’arrête les mots, ni le désert, ni la mort !
Crédit: Emmanuel / iwaria
24 août 2022

La poétesse de Dieu, de David Kpelly : rien n’arrête les mots, ni le désert, ni la mort !

Je me suis promis de me remettre à écrire et notamment faire des notes sur mes lectures du moment, tant il est vrai qu’un livre sur lequel on ne peut rien écrire, on ne l’a pas vraiment lu. Le roman dont il est question dans les lignes à venir, par tout l’intérêt et l’enthousiasme de lecteur qu’il ma suscité, me donne la raison suffisante et le prétexte pour me remettre en selle. Présentation…

Une main tenant l'ouvrage La Poétesse de Dieu, de David Kpelly
Une main tenant l’ouvrage La poétesse de Dieu, de David Kpelly : Crédits Marek L. Abi.

Eia pour la poétesse de Dieu ! Publié aux Éditions Harmattan par le Togolais David Kpelly, le roman de 288 pages est structuré en une soixantaine de petits chapitres. Il se présente comme une longue litanie de petits billets dont l’auteur, blogueur émérite, égrène comme les billes d’un chapelet, dans une prière à Dieu, ou à l’Écriture elle-même. Ces courts chapitres pourraient du reste, très aisément, être rassemblés un grand texte à dire, une longue respiration romanesque au rythme des sables du Sahel.

La poétesse de Dieu, c’est l’histoire d’Alima Sallaye, jeune lycéenne prometteuse, passionnée de littérature, orpheline et précieux trésor de sa pauvre grand-mère, qui va soudain disparaître de la circulation, au grand désarroi de son professeur de français, Yao Aziawowovivina, notre personnage principal, pour qui elle représentait une lanterne d’espoir dans une génération qui n’a cure de la littérature ou des études en général.

Suite à cette disparition, l’ancien professeur, reconverti journaliste (les deux professions favorites des intellectuels désabusés qui n’ont pu se faire une place dans le système, faute de compétences pratiques ou d’intérêt pour les jeux de la hiérarchie) va se lancer à sa recherche.

Comme Orphée à la recherche d’Eurydice jusqu’aux enfers, le “héros” va se lancer dans cette vaste quête quasi-initiatique, qui lui fera découvrir – et le lecteur en même temps – les aspects les plus dérangeants et fascinants du Mali, des sociétés Sahéliennes, et de l’Afrique.

Mais derrière cette quête de la poétesse disparue, en filigrane de l’histoire déjà envoûtante, le lecteur, averti ou non, découvre mille autres questions. L’une d’entre elles, qui me tient particulièrement à cœur, est celle de la place et de la survie de la littérature dans une Afrique qui a faim, qui est en guerre intergénérationnelle, et qui se cherche, entre tradition et modernité, en fondamentalisme religieux et ou fièvre de modernité.

Coups de maître et coups de coude

Le roman est clairement un des meilleurs roman togolais de ce début de décennie. Je ne sais pas combien de mois ou d’années, il aura fallu à l’auteur pour travailler et ficeler son texte – affiner ses personnages et leur donner une vie propre (on y revient plus bas) – mais le travail se respecte.

Dans une écriture rapide et fluide, simple et directe, agrémentée de charmantes hyperboles dignes d’une commère togolaise du marché de Mission Tove, l’auteur nous plonge dans un univers grouillant de vie et de coups de klaxons, une terre qui a chaud aux fesses, au propre comme au figuré.
Par une série de tours de passe-passe narratifs, certains un peu plus forcés que d’autres, l’auteur, nous fait entrer dans la confidence d’une multitude de personnages, dans une polyphonie des points de vue, chacun racontant sa part d’histoire et de tragédie. C’est un millier de fragments qui vont, au final, se coller pour dévoiler le puzzle magique et tragique, la fresque murale qui se présente sous nos yeux. Pour un premier “vrai” roman, c’est est un beau. Du Kpelly.

Tacles et balles perdues

L’auteur se fait également plaisir, au passage pour tacler toutes sortes de maux qui le dérangent : les fonctionnaires aigris de nos administrations publiques, les policiers plus préoccupés par la loterie que par la justice, les contradictions d’un certain panafricanisme 2.0, certains tribalismes mal placés de nos peuples, les affres du terrorisme qui s’impose comme une réponse à des maux plus profonds. Même le Togo, pays d’origine de l’auteur, se prend moult « balles perdues ». C’est de bonne guerre, dira-t-on, qui aime bien tacle bien.

Femmes !

Trois filles en train de lire. Crédit : Foumi / Iwaria

Cette longue enquête sur les traces de la disparue et à travers son histoire, va poser notamment la question de la souffrance des femmes. Une souffrance transgénérationnelle : Alima, sa mère et sa grand-mère, sous le joug des mâles dominants – des mâles assoiffés d’héritiers, de respect et de corps de femmes nubiles. Des mâles souvent peu à la hauteur du pouvoir et de l’autorité dont ils ont hérité, par la force de la tradition.

Alima rêve d’être poétesse, dans un monde qui veut qu’elle devienne simple épouse. La jeune fille porte pourtant le rêve de deux générations de femmes.

Ce rêve pourra sembler banal – et tant mieux si vous le trouvez banal, ça veut dire que vous avez vécu dans un monde différent du leur, qu’on a fait du chemin depuis. Mais gardez à l’esprit que lire, écrire, penser, parler et s’affirmer au monde, reste la bataille de milliers d’Africains encore, en particulier nos filles et sœurs.

De ce point de vue, l’épopée du « Prof » et ses compères, un Ivoirien et un Targui, se présente donc comme un long réquisitoire sur une Afrique qui, structurellement, maintient la femme sous une chape de tradition et de soumission, un poids qui peut frapper et révolter même l’esprit le plus « anti-féministe ».
Parti-pris de l’auteur ? Sans doute. Mais on ne lui en voudra pas plus que ça, c’est si bien dit, si bien présenté et si honnête, en un sens.

Plus vrais que nature

Kpelly, est un auteur à personnages. L’œuvre, toute l’œuvre, grouille de vie et de personnages, chacun portant une histoire plus ou mois mémorable.

Avec un tempo maîtrisé du début jusqu’à la fin, l’auteur – tel quelqu’un qui a l’habitude de raconter des histoires – nous emporte sans préliminaires, sans nous laisser le temps de souffler ou de nous ennuyer. L’attention du lecteur est maintenue de bout en bout, et il y a toujours un bout d’histoire, un détail, une anecdote tout aussi intéressante, pour satisfaire les esprits distraits modernes.

Quant aux personnages, essentiellement des adolescents qui tentent de s’en sortir dans un monde qui a décidé de ne leur faire aucun cadeau – si ce n’est celui de la vigueur et de la jeunesse – ce sont des personnes, l’encre et le papier font place à la chair et au sang. Hauts en couleur, dotés souvent de surnoms rocambolesques et évocateurs (de à , en passant par ou encore ) chacun représente les aspects d’une génération désabusée, en quête de sens et de mieux être, entre religion, soif d’argent, réseaux sociaux et pauvreté, piégée dans une société patriarcale ( au sens classique du terme, pas ce que son acception est devenue de nos jours), aux prises avec un abandon des anciens, et des traditions souvent surannées, accentuées et aggravées par la misère matérielle…

Kpelly a fait des gens qu’on a plaisir à déguster, à critiquer, à houspiller. Des gens avec qui l’on boirait bien un coup un samedi soir, juste pour les écouter se plaindre du pays et de “ce gouvernement-là même”; des gens que je draguerais bien, pour la beauté du geste ou l’amour du corps.

Ils sont vivants – en surbrillance entre les pages.

Et Kpelly est drôle, furieusement drôle, tragiquement drôle. Le Togolais a l’humour de ceux qui apprennent, chaque jour, accepter la vie avec ses dés pipés et sa brutalité banale. (Alrpazolam)  Il y a, dans ses personnages, quelque chose de plus vrai que nature, plus vraie que vrais, méta-réels en un sens.

La recherchée – Alima Sallaye – n’a pas vécu en vain, elle a produit un manuscrit, qui deviendra un recueil de poèmes offert au monde entier. Voilà Alima poétesse, devant dieu et devant les hommes.

“Les manuscrits ne brûlent pas” : la littérature comme gage d’éternité

La poétesse de Dieu, c’est aussi une ode à la Vie, celle des petites gens de tous les jours, celle où on tombe enceinte d’un vieux pervers où tu accouches d’un petit monstre parce qu’on était trop jeune pour supporter une grossesse jusqu’à terme. Où on peut perdre une jambe, tragiquement, parce que son véhicule a subit une attaque djihadiste lors de son voyage de lune de miel.

Difficile de dire si, au bout du parcours, Yao Aziawowovivina – frappé en pleine face par la tragédie de ce monde – est satisfait de sa quête. En-tout-cas, le lecteur, une larme rebelle au coin de l’œil, peut se satisfaire d’un incorruptible espoir : que la mort n’arrête pas les mots.
Si écrire ne change pas le monde, la littérature rend au moins la vie plus supportable. Ceux qui ne veulent pas le présent embrassent l’éternité. La recherchée – Alima Sallaye – n’a pas vécu en vain, elle a produit un manuscrit, qui deviendra un recueil de poèmes offert au monde entier. Voilà Alima poétesse, devant Dieu et devant les hommes.

Transcender la mort et le destin par les mots, c’est cela, toute la beauté de la littérature.

Au final, l’ouvrage est un acte de foi, un gage d’espoir envers la littérature, et sa capacité à transformer la douleur humaine, à dépasser les pesanteurs du quotidien pour nous donner un tunnel d’espoir, un exutoire et une bouffé d’oxygène, dans un monde où nous sommes bien souvent impuissants face à l’injustice et la violence du monde.

Mention spéciale à Zop Zop Zop !!!

Mention Spéciale à Zopiro, le Chevalier du christ, le plus intéressant de tous les personnages du Roman. Petit, agité, aussi cynique que rusé, drôle comme si sa vie en dépendait, le fier Bété au sombre passé de meurtrier est comme un furoncle de rire et de couleur à la face d’un monde rendu gris et sec par le soleil et la poussière du Sahel. 🙂

L’ouvrage mérite d’être discuté, à plusieurs reprises…Pourquoi pas même adapté au cinéma, pour toucher une jeunesse bien trop pressée pour ouvrir un livre, aussi somptueux et grisant soit-il.

On regrettera, peut-être, que pour un tel ouvrage, que Kpelly n’ait pas choisi une maison d’édition africaine pour l’accompagner dans son projet éditorial, mais c’est encore autre chose. Harmattan probablement trop africain comme ça. 😉

En-tout-cas, chapeau l’artiste. Longue vie au Roman. Fin de note de lecture…Ou, comme le dirait notre bon vieux Zopiro, Ita Missa Est. J’ai dit !

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PS: Voici un court Extrait, le premier paragraphe du Roman

« Lors de la première rencontre entre elle et moi, deux ans plus tôt, j’étais encore enseignant. C’était à l’occasion de mon premier cours dans une classe de terminale d’un lycée privé. La classe était composée d’une cinquantaine d’élèves, plus de quarante garçons et à peine une dizaine de filles, qui ne m’accordèrent aucune importance quand j’entrai, concentrés sur leurs smartphones, certains ayant leurs perches à selfie levées, se prenant en photo pour alimenter Facebook et Instagram. Après avoir décliné, en guise de présentation, mon nom, Yao Aziawowovivina, et ma nationalité togolaise qui n’intéressèrent personne, ce qui ne m’étonna guère, ayant depuis longtemps compris que je traînais une nationalité qui ne dit grand-chose à personne, je décidai de passer aux choses sérieuses. Je demandai à mes interlocuteurs de me citer des écrivains africains qu’ils connaissaient. En guise de réponse, je reçus de gros éclats de rire montant de partout. (…) En fronçant la mine, je désignai l’un des rieurs assis au fond de la classe, un adolescent portant une boucle dans l’oreille droite et un pendentif en faux argent. Il se leva (…) et lança sans lever les yeux de son téléphone : « Le colonel Kadhafi était un écrivain africain. » La classe éclata de nouveau de rire. Dépassé, je me mis à ramasser mes affaires pour m’en aller définitivement (…).

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Ayi Renaud Dossavi

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Commentaires

Mawulolo
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J'approuve... Très belle œuvre de Kpelly