Textes confinés : la mésaventure de Raoul

Article : Textes confinés : la mésaventure de Raoul
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4 mai 2020

Textes confinés : la mésaventure de Raoul

Il y a peu, nous avons lancé, en collaboration avec la maison d’Edition AGAU, un projet pour répondre par les mots aux maux du Covid-19, surtout dans ce contexte confinement. Il s’agissait d’ouvrir une porte à l’esprit, à un moment où nous étions physiquement contraints et limités. Des textes pour sortir de cet Ordinaire morne et stressant. Rêver un futur possible ; stimuler et motiver.

Commençons avec notre premier texte Confiné: La mésaventure de Raoul, de Gérard  MAHINOU. Lisez, appréciez, jugez. 🙂

Un lourd silence pesait sur Belleville lorsque Raoul y posa ses pieds avec son sac à guenilles. C’était sa première fois de sortir de son village, un hameau pris d’assaut, il y a une vingtaine d’années par une dizaine de paysans à la recherche des espaces cultivables. Avec le temps, ce petit nombre a augmenté considérablement, formant une grande population. Néanmoins, Ibarassou était un milieu enclavé et coupé de toutes informations liées à l’actualité. Le jeune Raoul qui y vivait depuis douze ans, avait cependant eu la chance de décrocher le Certificat d’Etude Primaire chez un de ses oncles instituteur, avant de rejoindre ses parents là. Il pensait que sa place n’était pas à Ibarassou. Il voulait quitter ce ghetto, quitter les champs, quitter la monotonie exubérante de ce coin enclavé, quitter la lassitude des travaux champêtres, quitter la paysannerie villageoise, pour se retrouver à Belleville où il se laverait de la civilisation moderne. Après un bain dans cette belle cité, il pourrait retourner, métamorphisé, pétri de bonnes mœurs et moulé dans la culture moderne. Il tenait à y aller. Et il a mis en place tous les stratagèmes pour réaliser son rêve : se rendre là où la vie est tendre.

          Effectivement, il était arrivé à Belleville par un vieux car appartenant à un de ses condisciples qui, lui, s’est limité aux cours préparatoires.

          Raoul était arrivé à dix-huit heures, une heure propice au déferlement de citadins dans les rues, certains, revenant du boulot, d’autres de leurs affaires. Mais à Belleville ce jour, silence aberrant. Un silence qui était pour lui un véritable mystère. Que se passait- il ? S’était-il trompé de ville ?  S’interrogeait le jeune dandy épuisé par le long trajet. Il avait entendu parler de cette ville balnéaire, la capitale de son pays d’ailleurs, réputée pour son animation, ses multiples activités économiques et sa belle apparence. Mais l’espace qui s’offrait à sa vue ne ressemblait en rien à l’image de cette ville qu’on lui avait fait miroiter. Aucune présence humaine ne s’offrait à sa vue. Aucune âme en mouvement dans cet espace nu. Personne ne venait à son secours. Personne ne venait pour lui dire où il était et ce qu’il pouvait faire. Personne ne venait pour le fixer sur le sort que lui réservaient les jours avenirs dans cette atmosphère qui l’étourdit et l’abrutit.  Personne ne venait pour lui indiquer la direction à suivre pour se retrouver à Belleville, la belle ville, la ville de ses rêves et de ses fantasmes.

          Raoul se lança dans une marche vers l’inconnu, avec l’espoir de rencontrer des gens, des gens qui lui indiqueraient la direction à suivre pour aller à Belleville, la ville de ses rêves et de ses fantasmes. À peine il fit quelques pas qu’il entendit :

_ Heee ! Jeune homme où vas-tu ?

L’homme qui l’interpellait était un soldat cagoulé jusqu’aux dents. De loin, il voyait une horde d’hommes habillés en treillis. Raoul pris peur. Il feignit de ne rien entendre et redoubla ses pas.

_ Idiot la ! C’est à toi je m’adresse. Tu n’es pas au courant de qui se passe ?

_ Non messier

Répondit Raoul après avoir barbouillé quelques mots, embrouillé par le ton de l’agent de sécurité.

_ D’où viens-tu ?

 _ Je viens d’Ibarassou

_ Et que cherches-tu ici ?

_ Du travail

_ Du travail ?

Il ricana pendant un laps de temps et, lui assenant un coup de fouet, lui dit :

_ Petit villageois ! Tu es mal arrivé. Regarde sur l’affiche qui est juste derrière toi.

Stressé et tremblotant de peur, il se retourna et fixa l’affiche collée à un gyrophare.

_ Lis à haute voix, imbécile et déguerpis d’ici tout suite, lui déclara l’agent, la figure boursoufflée de colère.

Raoul s’exécuta.

_ Lutte contre le COVID-19 couvre-feu de 19h à 6h du matin.

          Raoul ne comprenait rien de cette affiche. Il n’avait pas perçu le message qui était voilé dans ce jargon biscornu. Les mots de cette affiche revenaient comme le déroulement d’un film émouvant, martelaient dans sa petite cervelle fortement réchauffée par la noria d’interrogations sans réponses et la chaude interpellation de l’agent de sécurité.

          Il sonnait dix-neuf heures. Les abords des avenues se trouvaient éclairés par une architecturale juxtaposition d’ampoules dressées au bout de longs poteaux et aux frontons de gigantesques gratte-ciel surplombant la vaste plaine qui supportait Belleville. Un désir palpitant de se baigner dans cette atmosphère ouatée, mêlé d’une soif de curiosité contrariaient l’injonction de l’agent de sécurité. Il ne savait à quel saint se vouer. Retourner au village ? Ou au contraire continuer son périple à pieds ou par n’importe quel moyen pour parvenir à Belleville la belle ville, la ville de ses rêves et de ses fanatismes.

          Un sexagénaire suivait cette scène à travers la fenêtre de sa chambre qui jouxtait la rue des Lézards. Lorsque l’agent de sécurité s’écarta un peu pour s’occuper d’un autre hors-la-loi, il sortit de sa chambre, avança vers la porte et l’interpella par la main. Raoul avança à pas hésitants, le cœur battant. Il pensait à une autre scène de torture qui l’attendait.

_ D’où viens-tu ? demanda le sexagénaire Fafa au jeune homme.

_ Je…  je…  je viens d’Ibarassou, répondit-il d’une voix cassée, des sanglots accompagnant les mots entrecoupés de cette phrase.

_ Ibarassou ?

_ Oui… oui monsieur, je viens d’Ibarassou.

_ Ibarassou, c’est un petit village que je connais bien. Mon oncle qui fut encadreur y a séjourné quelques années. Moi-même j’y suis allé une fois pour une enquête lorsque j’étais en fonction à la Direction des Statistiques. C’est là d’ailleurs que j’ai rencontré et épousé ma femme. Maintenant je suis à la retraite et je me repose dans cette concession érigée il ya dix ans plus tôt.  Ibarassou, c’est un village qui me plaît par la sympathie et la solidarité largement partagées par les habitants.

Ayant repris confiance en écoutant religieusement les propos du vieil homme, Raoul demanda au sexagénaire :

_ Dans quel village sommes-nous ici ?

_Jeune homme, ici, ce n’est pas un village. C’est la capitale du pays, de notre pays. C’est Belleville.

_ Belleville ? Et les gens dorment déjà à 20h ?

           Fafa sourit et jeta un regard furtif à sa femme qui les écoutait depuis sa cuisine et qui essayait d’étouffer son rire par sa main, face à la naïveté de ce jeune.

_ Je sais que tu n’es pas informé de ce qui se passe. Mais je vais tout t’expliquer.

          Fafa vivait dans sa petite maison constituée d’une mini villa et d’un bâtiment de deux pièces avec sa petite famille sans locataire. Mais ce qui offusqua le jeune campagnard, c’est l’attitude et l’accoutrement de tous les occupants de la maison. Un bout de tissu solidement attaché au cou, couvrait une bonne partie de chaque frimousse. Les salutations se faisaient à distance et avec méfiance.

          Assis, l’un en face de l’autre, séparés par une distance d’au moins un mètre, Fafa prit du temps pour aider le jeune à décrypter le mystère, la symbolique qui se dégageait du message qu’on lui avait fait lire sur la rue des Lézards. Malgré ce long discours, il ne put retenir les termes COVID-19, état d’urgence sanitaire, mise en quarantaine, isolement, confinement. Mais il retint quand même qu’il y avait une peste mondiale très contagieuse au contact et que le gouvernement avait décidé, pour éviter la propagation de cette peste dans le pays, que personne ne soit en dehors de sa maison entre 19 h à 6 h.

          Le lendemain matin, il avait fait un tour en ville en compagnie de Fafa. Belleville avait renoué avec l’ambiance habituelle. Mais il avait lu sur les frimousses, la peur ; la peur des gens certainement d’être une victime de plus ; la crainte aussi, la crainte de cette pandémie qui augmentait chaque seconde sa zone d’intervention ; la terreur, la terreur que suscitait ce virus invisible à l’œil nu mais qui abattait tout sur son passage avec une rage imprévisible et une vitesse de croisière. Il avait vu des hommes apparemment bien portant tomber comme des mouches sur un morceau de veau en putréfaction. Il avait vu dans des hôpitaux, des hôpitaux exclusivement dédiés à ce genre de malades, des malades entassés les uns sur les autres comme des cadavres, à défaut de place ; il avait vu des morts, encombrants les rues de Belleville et jonchant les entrées des hôtels ; on lui avait dit ce jour que cette « peste » était une véritable catastrophe et qu’elle risquait de décimer toute la population mondiale. Il avait compris la gravité de la situation mais aussi la vanité de la vie. Comment autant de personnes pouvaient tomber – des centaines en un laps de temps- polluant l’air d’insanité et la terre, des amas de corps sans vie ? Quel cataclysme de voir des célébrités, des personnalités importantes, se morfondre, regarder leur corps se fondre, sans même avoir le temps de balancer « un au revoir » à leur proche ?

          Il avait finalement compris qu’il ne pouvait plus vivre à Belleville car, vu la méfiance que chacun manifestait à son égard, il était plus dangereux que le virus que les gens fuyaient. Il préférait retourner au village, vivre sa vie en dehors des contraintes qui soumettent des vies à une forme d’esclavage. Il n’avait pas de choix, il ne pouvait que reprendre la voie du village où il renouerait avec la monotonie exubérante que rompaient la partie de chasse au sanglier,  les soirées récréatives aux sons des balafons et du tam-tam, les danses rituelles et frénétiques. Il retrouverait ses amis avec qui il prenait du dolo du retour des champs. Il rentrait avec l’assurance de ne pouvoir vivre en ville non seulement à cause de la maladie mais aussi de l’inadéquation de sa culture au mode de vie de la ville qui le rendait ridicule. Mais il était anxieux, une anxiété suscitée par la hantise de la mort et le sort que leur réservait ce virus qui certainement les atteindrait.  Il se demandait ce que les habitants d’Ibarassou pouvait faire si cette « peste » féroce arrivait dans leur village où il n’y a ni dispensaire ni agent de santé, ce village où l’antidote des maladies se résumait aux décoctions faites de feuilles et de racines. Que pouvaient-ils faire alors même que les prestigieux hôpitaux de la ville qui regorgent de grands médecins n’arrivent même pas à maîtriser la situation ? Comment pouvait-il expliquer à ses confrères du village la présence d’un mal qui certainement les atteindrait, alors qu’il n’avait pas compris grand-chose de ce discours de Fafa ? N’aurait d’ailleurs-t-il pas été contaminé déjà par ce virus virulent ? Quel serait le regard que porteraient les habitants d’Ibarassou lorsqu’on le verra arriver de la ville avec un cache-nez voilant une partie de sa figure, se laver les mains à tout bout de champ avec du gel hydro alcoolique que lui avait donné Fafa et saluer ses frères à distance sans les approcher ?

          Lorsqu’il reprit le chemin du village, de son village, il jeta le cache-nez et se confia à la providence divine. Il prit la résolution de tenir informés à son arrivée les sages du village afin qu’ils alertent, tous les sorciers et les invocateurs d’esprit pour qu’ils se préparent à conjurer le mal et surtout qu’ils arrivent à le bloquer avant son entrée dans cette contrée.

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