Cette langue étrange que nous parlons à Lomé

Article : Cette langue étrange que nous parlons à Lomé
Crédit:

Cette langue étrange que nous parlons à Lomé

Bien le bonjour! (Bonne année, etc.)

J’ai toujours été un ardent défenseur des langues locales, des langues maternelles (de « nos » langues, si je puis dire) face à l’hégémonie des langues importées (l’anglais, le français, l’espagnol, le portugais, etc.). Il n’y a pas si longtemps, je parlais du français qui broyait nos langues maternelles sous ses gros sabots molièriens (certains rétorqueront avec beaucoup d’esprit qu’avec le temps, le français tend à devenir une langue maternelle, ce qui est assez horripilant en soi, mais passons).

Une langue ‘locale’, d’accord… Mais où est-elle ?

Eh bien, c’est dans toute cette réflexion, alors que songeant à une énième plan de sauvetage desdites langues locales (les mettre sur la liste des espèces protégées, créer des zoos linguistiques non pas zoo humains ! pour celles en voie d’extinction etc). Bref, c’est dans tout ce branle-bas de combat que je réalisai qu’à Lomé, la capitale du Togo, il n’y avait pas à proprement parler de langue originale ou originelle, virginale.

Ce dialecte bizarre que nous parlons à Lomé

Nous parlons une langue à Lomé, la capitale. Oui, nous parlons bien une langue « locale ». Si vous posez la question à quiconque, il vous répondra en mina, ou à la rigueur en éwé. C’est amusant parce que le dialecte majoritairement parlé à Lomé n’a pas forcément grand-chose à voir avec l’une ou l’autre des deux langues. Je dirais même plus, c’est un hybride, de l’éwé et du mina principalement : à vue de nez, il est composé à 60% de mina, à 30 % d’éwé, et à 10% d’une multitude d’autres parlers dont le français, l’anglais, l’allemand et autres patois. Mais bon, ces pourcentages sont des choses délicates à manier, pour des langues, vous oyez où je veux en venir quand même.

Crédit: www.memoireonline.com
Crédit: www.memoireonline.com

Et ce français… du sable dans notre gari* !!!

Ah ! Ce français s’immisce sournoisement et presque en permanence dans nos phrases, ce qui a le don de m’agacer au plus haut point, à juste titre je pense. Cela ne fait pas forcément de moi un puriste. Je ne compte plus le nombre de fois où, dans n’importe quelle conversation (causerie banale ou débat sur les média), un ou deux mots français se glissent dans les phrases. On achoppe sur une idée ou un concept dont on ne connait pas l’équivalent en éwé-mina, faute de culture, et on se rabat illico sur le français. Il y a aussi toute une multitude de tics langagiers directement hérités de la cohabitation avec le français ou de son parasitisme pur et simple : ponctuer ses affirmations avec des « quoi, quoi, quoi » ; dire « é va quoi = « Il est venu quoi », ou « mà và semaine prochaine » = « Je viendrai la semaine prochaine », ou encore « Büssa lé dja djo » = « Le Bus va partir », etc.  Ceci donne des phrases très étranges d’un point de vue linguistique, de véritables zèbres parlés.

Bien sûr, il y a des cas de figure où c’est difficile de trouver le mot en éwé-mina, à moins d’être un sacré technicien de la langue ou un remarquable érudit (ou juste un gars qui a passé suffisamment de temps au terroir). Pour d’autres cas encore, c’est lié à la nature du mot. « Microbiologie », « arthrodèse », « phéromones », « astrophysique » sont par exemple des mots qui nécessiteraient d’être forgées dans des langues locales, si tant est qu’on avait la moindre envie de s’y coller.  Mais on se rabat presque systématiquement sur le français, même pour des choses toutes simples (simplettes, simplistes, simplissimes) comme les jours de la semaine, les chiffres (sérieusement, les enfants  ne savent plus compter jusqu’à dix en éwé-mina), ou les prix des choses. Je trouve tout ça très inconfortable. Ceci dit, je n’ai rien contre le français à la base : j’aurais l’air bien stupide si c’était le cas, étant donné que je suis en train d’écrire en français.

Lomé la PouBelle, mais surtout Lomé la Jeune et la bigarrée

Lomé est une ville plutôt récente (en tant que capitale, pôle et creuset démographique j’entends). La région était habitée à l’origine par les Bè, parlant l’éwé. Par une fantaisie de l’histoire, le mina, aussi appelé le gen-gbe, parlé par les peuples Guins venus d’Agbodrafo et Aného, a fini par dominer la nouvelle capitale au fil du temps, au détriment de l’éwé . Ce mina étant lui-même déjà très métissé et bigarré, était bien loin du gen-gbe d’origine (avec les influences du watchi, du yoruba, du fon et autres). Donc, à partir de ce gen-gbe métissé, se mélangeant avec l’éwé d’Aného, d’hybridation en hybridation, on en est arrivé à une langue presque sui generis, fonctionnelle et propre à Lomé. Elle est née de la nécessité pour plusieurs peuples, venus d’horizon différents de se comprendre et de communiquer : une langue véhiculaire, ça s’appelle.

langues Gbè - wikipedia
langues Gbè – wikipedia

Quant aux origines de Lomé, voici ce qu’en dit un camarade:

Lomé au Togo, est la seule capitale au monde (à ma connaissance et j’espère me tromper, à l’opposé de Brazzaville et Kinshassa, elles sont séparées par un fleuve) à se situer sur une frontière, celle avec le Ghana.  A l’origine, le lieu aurait été fondé au 17e siècle par un certain Dzitri. Mais, la ville est « née » en 1879 à la suite d’ imbroglios diplomatico-admnistratifs entre les colonisateurs européens : des Anglais, des Français puis des Allemands.

La bande côtière à cet endroit, était occupée par des populations autochtones (les Bè), les esclaves affranchis d’origine africaine (revenus essentiellement du Brésil) et des commerçants européens. Cet ensemble généra une sorte de « patchwork », dominé par la culture et la langue éwé. En 1884, la colonisation allemande s’installe au Togo pour 30 ans ; suivie par l’administration provisoire anglaise (1914-1920). Puis, le mandat du Togo est «confiée » à l’administration coloniale française de 1920 jusqu’à son indépendance en 1960. Aujourd’hui, la langue dominante à Lomé est le mina issu de l’éwé, avec des emprunts en français, en allemand, en d’autres langues togolaises et aussi un argot influencé par le voisin anglophone.  AristidesHonyglo

Cathédrale de Lomé Crédit: tg.worldmapz.com
Cathédrale de Lomé
Crédit: tg.worldmapz.com

Pour les autochtones « sudistes », ou quiconque qui soit né à Lomé et a parlé cette langue depuis ses débuts, cela crée parfois des situations surréalistes. Un exemple : ma maternelle est éwé (Bè) et mon paternel Guin, je constate bien quand je m’adresse à des aînés de chaque branche qu’on ne parle pas la même langue et on a bien souvent du mal à communiquer, surtout quand ça devient pointu. Étrangement, moi je les comprends plus qu’ils ne me comprennent, sans doute les avantages de parler «métis ».

 

Accents

De la même façon qu’on reconnait le pays d’origine d’un francophone à son accent (sénégalais, ivoirien, malien, togolais) la même chose se présente en éwé, en mina ou en éwé-mina. Plutôt deux fois qu’une même! (https://lovelandhabitat.org) Pour ceux qui ont baigné dans cet environnement linguistique, il est possible de distinguer à l’oreille l’éwé-mina, d’un gen-loméen, de celui d’un bè-loméen, ou d’un watchi-loméen… ou même d’un loméen-loméen, parce que ça existe, de plus en plus, démographie et déracinement oblige.

C’est fou, c’est un microcosme. Comme dirait quelqu’un, l’univers n’est pas un tout unifié, encore moins figé. Donc pour ceux qui s’intéressent à la sauvegarde de nos parlers, il y a beaucoup d’autres questions connexes, autrement plus complexes et subtiles, qui les attendent. Car si la nature a horreur du vide, elle a aussi horreur de l’inertie. Et elle ne nous attend pas, inexorablement, elle continue à faire ce qu’elle a toujours fait : créer du neuf avec du vieux, de l’unité avec de la multitude et de la multitude avec de l’unité. Et ainsi de suite.

C’est là qu’on voit que le hasard, ou la dialectique, a le sens de l’humour : nous parlons un dialecte bizarre à Lomé (on va dire le « Loméen » ou mieux encore le « Lomégbé »), une langue véhiculaire qui a le ‘cul’ entre deux chaises, mais qui est quand même la principale langue ‘locale’ du Togo. Lomé pèse un peu plus d’un million d’habitants, sur une population togolaise d’environ 7 millions d’habitants, ce qui fait donc au moins 1/7 de la population. On peut plus ou moins parler ce dialecte sur toute l’étendue du territoire, très essentiellement dans les principales villes, suivant les grands axes commerciaux. Les dieux savent qu’il y a pas mal de langues dans notre petit pays!

Quant à un éwé et un mina « purs », je ne sais pas trop.  Il faudra surement repasser!

Je crois qu’en définitive, quand on demandera « quelle langue parlez-vous ? », on répondra tout simplement « je parle Loméen Lomégbé ».

Et ça c’est amusant !

A.R.D-A.

*Gari : farine de manioc, très présent dans l’alimentation à Lomé (pas forcément pour le plaisir de tous mais bon, c’est un autre débat ça…).

Partagez

Commentaires

Michela
Répondre

Trés interessant! Merci

PISSAN H.
Répondre

Je suis tombée par pur hasard sur cet article, et franchement j'adore!!! c'est des gens comme toi qu'on doit encourager à continuer. non seulement à travers ton écris, on sens que tu reste attaché à ton pays, mais également on sens aussi une bonne maîtrise de la langue de molière...une grande fierté pour nous Togolais!!! bon courage et bonne continuation sur cette voie

Marta b.
Répondre

Bonjour, tres interessant pour moi aussi. Je voudrais bien vous poser une question : Au Togo, si l’on vous pose la question suivante « C’est comment ? », que répondez-vous? - Ca va ?
Merci beaucoup pour votre réponse ( c´est pour un quiz)

Nuseline
Répondre

Il y a un nouveau dictionnaire qui aidera les apprenants et les locuteurs de la langue ewe

www.ewedictionary.com

K.A
Répondre

Au fond, le Mina est une forme de la langue Ewe, un mélange de toutes les formes vernaculaires de l'Ewe